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Les accords mets et vins ou le yéti gastronomique

par Bruno Carroy 11 Mai 2012, 15:28 Accords mets et vins

Tout le monde en a entendu parlé mais peu l’ont croisé: l’accord parfait entre un mets et un vin, la sublimation de l’un et de l’autre dans une fusion gustative où les deux ne font plus qu’un, plus grand, plus beau et pourvoyeur d’orgasme à chaque bouchée. 

 

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Grand prêtre de milliards de papilles gustatives dans l’attente du miracle, le sommelier joue avec plaisir son rôle d’entremetteur, répétant sa bible avec plus ou moins de conviction... Car en effet, en la matière, soit on a testé l’accord, soit pas. 

Dans le premier cas on sait de quoi en parle - et encore faut-il en plus savoir ce que l’on cherche dans cette union, y être sensible, savoir déceler l’originalité d’un mariage à priori fantaisiste et, à contrario, ne pas s’extasier devant un mariage mièvre dénué de passion - dans le deuxième cas on prêche sans ferveur. 

 

La plupart du temps l’accord proposé n’a pas été testé. 

 

Au cours de ma carrière plusieurs indices m’ont orienté vers une certaine méfiance des accords consacrés dans la littérature et les manuels. 

 

Une soirée accords mets et vins il y a quelques années avec pour thème les haricots... Nous avions (c’était à la Cité des Vins de Genève, avant sa reprise par Lavinia) élaboré un menu composé de 4 ou 5 différentes recettes autour du haricot, dont une type cassoulet... L’occasion de dégainer Cahors et Madiran comme le veux la tradition! 

Un fiasco! Un désaccord total entre les textures tanniques des vins la chair tendre des haricots blancs (me souviens plus du type exact d’haricots mais c’était proche du Tarbais), ceux-ci semblaient totalement effrayés par la virilité et le tanin un peu rustique des vins. En réaction à ce constat nous avons alors essayé des syrahs du Rhône, Crozes-Hermitage et Saint-Joseph, dans des versions avec peu de soufre et donc (et oui!) un fruit très présent et gourmand. Une vraie réussite! L’accord fonctionnait beaucoup mieux, le «moelleux» des deux protagonistes faisant office de liant. 

 

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Et que dire des accords
 vins et fromages! J’en ai fait des soirées sur ce thème! Avec toujours en tête ce souvenir d’un beau moment passé avec des amis un dimanche midi. A la fin du repas il y avait du roquefort avec un vieux bordeaux rouge. Et c’était extra! Alors que depuis environ 20 ans il a été décrété que le vin rouge et le fromage ça ne va pas ensemble...

Quid du plaisir de nos aïeux qui se régalait avec un bon verre de rouge et du fromage? Ca m’a toujours gêné. Le coté effet de mode, le coté on rase tout et on recommence, le coté on tue le père... Une époque il faut porter des pantalons «pattes d’eph’», l’époque d’après il faut porter des «moules burnes», sinon on passe pour un con. 

 

L’argument c’est que les tanins réagissent mal avec les protéines du fromage. Du coup on se retrouve avec des arrières goûts-amers... Certes, certes...

 

Tout d’abord il n’est pas inintéressant de déguster un fromage avec un peu de caractère et de se concentrer sur la fin de bouche. Tiens, un roquefort par exemple. Vous constaterez que cette fin de bouche, finalement, puisqu’on s’y penche, n’est pas très agréable. C’est amer et on sent bien la moisissure. 

 

Faut-il pour autant arrêter de manger du Roquefort alors que jusqu’à présent on était bien content de s’en envoyer quelques lichettes? 

 

Le propos c’est que beaucoup de fromages ont des amertumes en fin de bouche et que ce n’est pas le vin qui la provoque au départ. 

Une fois compris ça, deux choix possibles, non trois en fait:
- j’arrête de manger du fromage.
- je sers un vin qui va «édulcorer» mon fromage.
- j’accepte le caractère de mon fromage et, tout décomplexé, je bois un bon verre de vin avec, rouge ou blanc selon ma sensibilité. 

 

Vous voulez vous montrez un peu rebelle, porter un pantalon pattes «d’eph’» et boire du vin rouge avec votre fromage? Alors juste un peu de bon sens:

  • des vins à maturité. Ainsi les tanins se feront tout doux... 
  • des vins avec de la longueur. Il faut que le vin tienne sa place jusqu’au bout des saveurs, et le fromage est très persistant en bouche. Donc plutôt des vins issus de bons terroirs. 

 

Et très, très important: servez le vin que vous aimez! Car comme le dit un ami restaurateur: moi, quand le vin me plaît et que le plat me plaît, alors tout va bien. 

 

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Et, puis, il faut aussi le dire, tous ces ateliers de dégustation vins et fromages sont un peu biaisés dès le départ (et je sais de quoi je parle). Dans la vraie vie le fromage est consommé, majoritairement, à la fin du repas. C’est à dire avec des papilles qui ont déjà bien travaillé. Alors si on veut faire des tests il faut le faire au plus proche d’une situation réelle, donc il faudrait au préalable manger, par ex. une bonne viande, des belles patates cuites au four, boire 2 ou 3 canons, et ensuite seulement commencer à analyser l’accord entre un vin et un fromage... 

 

Lorsqu’on parle «d’accords mets et vins» on occulte, la plupart du temps, l’essentiel. A savoir que le moindre picrate vous enchantera le palais si vous le partager avec une personne précieuse pendant un moment précieux... Et que le plus grand vin ne vous procurera que bien peu d’émotions si servi au cours d’un moment de vie pénible. Un gamay d’Auvergne servi en pichet au pied des volcans n’a pas le même goût si bu 200 km plus loin. C’est pas lui qui à changé, c’est nous. 

En Savoie le plus bel accord à trouver avec une pièce de boeuf ce n’est pas un vin de Bordeaux mais une Mondeuse de Savoie! Tout simplement parce que vous êtes dans le pays de la Mondeuse, donc vous êtes réceptifs et ouverts. A cette Mondeuse vous tendez les papilles! 

 

La notion d’accord mets et vins est donc, pour ma part, un peu réductrice, voire peu honnête. Il faut aller plus loin, élargir les possibles, tout en simplifiant et en désacralisant. 

 

Quel intérêt de savoir, comme on peut le lire parfois, que tel vin se marie bien avec un Tourteau déstructuré en vinaigrette d’huîtres naines et sa trainée marine émulsionnée à la Ganja? 

 

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Pour terminer (ce billet et non le sujet) la tendance actuelle porte le consommateur, et par ricochet le professionnel,  à privilégier la douceur, le moelleux, le velouté. Aussi les accords conseillés visent le plus souvent à arrondir les angles plutôt qu’à créer une vraie synergie. On tend à atteindre une sorte de rondeur en bouche, rien ne doit dépasser, ni l’acidité, ni les tanins, ni l’amertume, rien sauf du moelleux. Pourquoi pas? Mais on peut aussi explorer d’autres pistes. Qui a découvert la richesse de dialogue entre un bon Vin Jaune du Jura et un bon Comté sait ce que c’est qu’un mariage réussi, avec le lit qui grince tous les jours, quelques gueulées de temps et temps et surtout beaucoup de complicité! 

 

Tiens, un bel accord l'autre jour, lors d'une soirée sur le thème des accords mets et vins organisée avec les Ateliers Grain de Sel à Genève: Raviolis ricotta et ail des ours, pesto blanc (fruits secs et sans herbes) avec un Châteauneuf-du-Pape 2006 du Clos du Caillou. Belle harmonie des saveurs en bouche et puis, surtout, la fin de bouche partagée et vécue pleinement par les 2, d'abord les saveurs du ravioli et de son pesto, puis le vin qui s'exprime, et à nouveau le ravioli qui cause, et le vin qui répond... 

 

N.B. Je sais bien que ce billet est une peu sens-dessus dessous, peu développé, pas fini en fait, mais ce sera pour une prochaine fois:-) 

 

Bruno Carroy

 

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